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La Loi fiscale peut-elle être rétroactive ?

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Que disent les textes de Loi ?

L’article 2 du code civil prévoit que la Loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif.

Toutefois, la valeur législative de cette règle ne contraint pas le législateur qui peut donc s’en affranchir, sans risque de censure constitutionnelle, sous réserve de ne pas faire rétroagir des dispositions pénales plus sévères, en application de l’article VIII de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et de l’article 7 de la CEDH.

Le Conseil constitutionnel considère que ce principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ne s’applique pas aux dispositions fiscales, à l’exception de celles relatives à des sanctions pouvant être prononcées à l’encontre des contribuables.

-> La loi fiscale peut donc être rétroactive

Quelles sont les rétroactivités possibles de la Loi fiscale ?

La matière fiscale est celle dans laquelle la rétroactivité s’applique dans sa difficulté la plus ultime, puisque l’on dénombre trois rétroactivités : une rétroactivité juridique, une rétroactivité économique, et la petite rétroactivité.

Ces trois rétroactivités se distinguent les unes des autres selon le cadre temporel dans lequel elles s’inscrivent :

 

  1. La « petite rétroactivité »ou « rétrospectivité »

Cela correspond au principe selon lequel les dispositions fiscales prévues par la loi de finances pour l’année N+1 (par exemple, 2025) s’appliquent à l’ensemble des opérations réalisées au cours de l’année N (dans notre exemple, 2024). Concrètement, les modifications du taux ou de l’assiette de l’impôt sur le revenu (IR) ou/et l’impôt sur les sociétés (IS) prévues par la loi de finances promulguée à la fin du mois de décembre de l’année N (=2024) s’appliquent aux revenus et bénéfices intervenus au cours de l’année N (=2024), soit antérieurement à l’entrée en vigueur de ces modifications.

Plus concrètement, en cas d’application de cette rétroactivité, l’instauration d’une surtaxe ou une augmentation de CEHR pour les particuliers, et/ou une surtaxe à l’IS pour certaines entreprises, par la Loi de Finances pour 2025, pourrait ainsi s’appliquer sur les revenus perçus en 2024.

Il ne s’agit pas formellement d’une rétroactivité dans la mesure où l’adoption de la loi de finances pour N+1 (=2025 dans notre exemple) intervient en pratique autour du 29 décembre de l’année N (=2024), c’est à dire quelques jours avant la date à laquelle est réalisé le fait générateur de l’impôt :

  • pour l’IR, au 31 décembre de l’année N (=2024), et,
  • pour l’IS, à la clôture de l’exercice annuel.

Dans le cadre du prélèvement à la source de l’IR, en vigueur depuis le 1er janvier 2019, l’évolution éventuelle des règles d’imposition aboutit désormais à des régularisations a posteriori survenant seulement à l’issue des déclarations de revenus effectuées par les contribuables l’année suivant celle de la perception du revenu. Autrement dit : certes, le contribuable a déjà payé, mais il ne s’agissait que d’un acompte, il va donc devoir payer le reste.

Il sera ici utilement rappelé un exemple concernant l’ISF : en 2011, il n’a pas été possible de faire rétroagir la réforme de l’ISF, puisque cet impôt est déterminé, non pas au 31 décembre pour l’ensemble de l’année N, mais au 1er janvier de l’année N. L’adoption de la Loi de Finances en fin d’année empêchait donc une application avant l’année suivante. Il a alors été créée une contribution exceptionnelle sur la fortune, applicable sur l’ensemble des revenus perçus en 2011, autrement dénommée… CEHR.

Si la « petite rétroactivité » favorise la réactivité de la politique fiscale en ajustant ainsi de façon rapide et effective les règles d’imposition à l’évolution de la situation économique conformément aux objectifs poursuivis par le Gouvernement, elle représente une incertitude majeure pour les particuliers et les entreprises. Dans ce cadre en effet, ils ne peuvent déterminer de façon sûre et définitive les règles fiscales auxquelles leurs revenus et bénéfices déjà réalisés au cours de l’année N seront in fine assujettis.

La rétroactivité juridique est donc dans le collimateur des juridictions, qui étudient et cherchent à encadrer ses effets, de façon à ce que le contribuable qui s’est libéré de l’impôt ne puisse plus être appelé à payer sur un gain déjà réalisé. Toutefois, comme ce fut le cas en matière d’ISF en 2011, le législateur parvient à être suffisamment créatif pour réussir à contourner les barrières prétoriennes.

La France n’est pas le seul pays à faire application de cette forme de rétroactivité, puisque cette rétroactivité est applicable dans de nombreux États de l’Union européenne ainsi qu’aux États-Unis.

 

  1. La « grande rétroactivité »ou « rétroactivité juridique » 

Elle se caractérise lorsque les dispositions fiscales s’appliquent à des faits générateurs d’imposition qui ont déjà eu lieu au moment où elles entrent en vigueur.

La rétroactivité juridique de la loi fiscale peut présenter plusieurs formes, selon le but qui lui est assigné :

–        la loi de validation -> consiste à sécuriser juridiquement des règles d’imposition afin de surmonter une décision de justice susceptible de les remettre en cause et d’aboutir, en conséquence, à une décharge d’imposition en faveur des contribuables requérants ;

–        la loi interprétative -> vise à préciser les modalités d’application de dispositions fiscales souffrant d’ambiguïtés ou de défauts techniques faisant peser une incertitude sur la volonté initiale du législateur ;

–        la loi appliquant la règle de la « fair announce » -> a pour objet de neutraliser le délai séparant la date à laquelle est annoncée une mesure fiscale de la date à laquelle celle-ci est adoptée, afin d’éviter des effets d’aubaine ou des comportements d’optimisation, ou encore de faire profiter immédiatement les contribuables d’une mesure fiscale favorable.

Cette règle est essentielle, notamment en matière de fiscalité du patrimoine : de la sorte en effet, dès l’annonce de la réforme, les anciennes règles cessent de s’appliquer. Il est alors inutile de se précipiter : il est déjà trop tard. Cela explique d’ailleurs souvent pourquoi les fiscalistes et les patrimonialistes ne cessent de rappeler qu’il faut… ANTICIPER.

 

  1. La « rétroactivité économique » 

Cette rétroactivité renvoie à la modification pour l’avenir des règles fiscales sous l’empire desquelles les contribuables ont fondé leurs décisions économiques.

Si elles n’emportent pas d’effet rétroactif au sens strictement juridique, ces mesures fiscales modificatives bouleversent les bases de calcul microéconomiques sur lesquelles se sont appuyés les particuliers et les entreprises afin de déterminer leur choix d’épargne, d’investissement ou de production, en faisant brutalement évoluer les règles applicables à des situations en cours.

À titre d’exemple : la loi de finances pour 1984 a ramené de 25 à 15 ans la durée d’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties applicables aux logements sociaux achevés avant 1973.

Autre exemple : la loi de finances pour 2000 a supprimé un régime fiscal incitatif institué par la loi de finances pour 1998 qui avait créé un crédit d’impôt pour une durée de 3 ans en faveur des entreprises créatrices d’emplois.

Source d’instabilité, cette « rétroactivité économique » emporte des conséquences d’autant plus fortes sur les intérêts des contribuables qu’elle n’est pas nécessairement assortie de mesures transitoires ou d’accompagnement susceptibles d’en différer l’application.

 

Quels sont le cadre et les limites à cette rétroactivité ?

La loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) a mis en place plusieurs dispositions dans le but de garantir l’information du Parlement quant aux mesures fiscales proposées par le Gouvernement.

S’agissant de la mise en place de mesures transitoires, de compensation ou d’accompagnement qui pourraient être requises en cas d’adoption de dispositions fiscales rétroactives, la jurisprudence constitutionnelle ne prévoit aucune obligation en la matière.

Seule la jurisprudence administrative contraint le pouvoir règlementaire à accompagner les réglementations nouvelles de dispositions transitoires lorsque leur application immédiate porterait une atteinte excessive à des intérêts publics ou privés, en vertu de la sécurité juridique (ex. Conseil d’État, arrêt KPMG).

Si la rétroactivité juridique des dispositions fiscales fait l’objet d’un contrôle jurisprudentiel resserré, leur rétroactivité économique, c’est-à-dire la modification pour l’avenir des règles fiscales sous l’empire desquelles les contribuables ont conclu des contrats, est contrôlée de façon plus souple.

En effet, en dépit d’une évolution jurisprudentielle favorable à la protection des « effets légitimement attendus » de situations légalement acquises par les contribuables, aucun principe supra-législatif ne garantit aujourd’hui l’intangibilité des régimes fiscaux spéciaux auxquels sont assujettis les contrats dont l’exécution s’étend sur plus d’une année.

Comme l’écrivait Maurice Cozian : ceci revient à ce que l’État dise aux contribuables « Jouez d’abord, on vous donnera les règles du jeu à la fin de la partie ! ».

S’il n’apparaît pas aisé ni indispensable de remettre en cause le caractère « rétrospectif » de la loi de finances, le contrôle de la « rétroactivité juridique » et de la « rétroactivité économique » permet de renforcer la prévisibilité de la règle fiscale.

Le rapport remis en 2008 par M. Olivier Fouquet, repris en 2021 par M. Charles de Courson dans son propre rapport visant à limiter le recours à la rétroactivité des lois fiscales, préconisait d’inscrire le principe de sécurité juridique dans le préambule de la Constitution ou, à défaut, d’y inscrire le principe de non-rétroactivité applicable aux dispositifs défavorables aux contribuables.

 

Gageons qu’un rapport dans la lignée des deux précités puisse un jour aboutir.

 

Quels sont les risques ?

Le premier risque, lié tant à l’insécurité fiscale qu’à la pression subie par les contribuables, réside dans l’application de la courbe de LAFFER.

Cette courbe, ou théorie, a été faite dans le cadre de modélisations économiques et développée par des économistes de l’offre, en particulier Arthur Laffer. Elle formalise l’idée que les effets favorables d’un taux d’imposition élevé sur la croissance des recettes de l’État disparaîtraient lorsque le taux d’imposition devient « trop élevé » (sans que ce seuil ait pu être défini).

Selon cette règle, lorsque les prélèvements obligatoires sont déjà élevés, une augmentation de la pression fiscale conduirait à une baisse des recettes de l’État, et non à une hausse. Pourquoi cela ? Parce que les agents économiques sur-taxés seraient alors incités à moins travailler, à limiter leurs revenus, de sorte que la hausse du taux de l’impôt serait plus que compensée par la réduction de son assiette.

Ainsi, les TPE et PME, avec des dirigeants pouvant contrôler leurs rémunérations, seraient incitées à réduire les bases de taxation.

Également, la consommation serait alors ralentie si la pression fiscale attachée aux opérations est trop forte.

 

Las, prendre en compte l’ouverture des frontières ne change rien au résultat de Laffer, puisqu’elle donne aux individus sur-taxés des possibilités d’évasion fiscale qui ne peuvent qu’accentuer la diminution des recettes de l’État en cas d’imposition trop forte.